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Le tout-petit au musée : rôle du médiateur

Selon Jean Caune, la médiation est une « construction de la relation qui croiserait une dimension éthique, point de vue esthétique, au sens du partage de l’expérience du sensible, et visée pragmatique»*.


Le médiateur fait le lien avec l’intériorité de soi-même. Il conditionne, en quelque sorte, notre imaginaire en mobilisant nos émotions et notre affect. Il se veut comme un « phare ». Attentif aux autres, il les accompagne et est à leur disposition.


La vision dite « classique » de la médiation est en effet de « venir servir [les collections] en les valorisant par des actions auprès des publics »*1. Serge Chaumier l’explique en mentionnant qu’une fois qu’une exposition est pensée, mise en place, et que le contenu scientifique est rédigé, la médiation viendrait la faire vivre en y apportant un complément. Il propose d’inverser cette pensée : « c’est le contenu, l’exposition elle-même, qui devient un instrument de médiation pour le médiateur ».


C'est la rencontre qui fait la médiation et l'expérience.

* CAUNE Jean, La Médiation culturelle. Expérience esthétique et construction du Vivre-ensemble, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, coll. Communication médias et sociétés, 2017.

*1 CHAUMIER Serge, MAIRESSE François, La médiation culturelle, Paris, Armand Colin, 2013, p. 60.



 

La médiation et les tout-petits


Avec les tout-petits, le médiateur nommé précédemment comme « phare » prend tout son sens. Il ne se charge plus simplement ici de faire la relation entre l’oeuvre et l’enfant. La médiation est beaucoup plus globale, elle se fait dès la construction du projet, entre les acteurs sollicités. Puis, elle va ensuite se faire entre l’adulte accompagnant et l’enfant, dès l’accueil de la visite. Dans une visite avec les tout-petits, il doit savoir s’effacer pour laisser place au lien et à la rencontre entre l’adulte, l’enfant et l’oeuvre. Il n’y a pas de discours didactique, cette médiation passe par le corps, le regard et la posture. Avec les tout-petits, il convient de se référer à une approche sensorielle qui amène à une exploration par les sens ; à une approche kinesthésique qui mobilise le corps dans l’espace ; à une approche imaginaire et active pour susciter des comportements. L'utilisation des 5 sens est alors préconisé.


Pour avoir la capacité de vivre au mieux l’expérience, il faut libérer sa pensée. Cette libération de pensée est plus ardue pour les adultes, vivant dans une société où il faut être efficace. Annick Eschapasse, psychanalyste et directrice de l’Association Arcréation, nous parle de cette pensée libérée : « Il est impossible de rêver ou de gazouiller sous injonction »*. Elle y donne un exemple avec la sieste à l’école où beaucoup d’enfants n’arrivent pas à faire la différence entre l’injonction de la sieste et le plaisir de relâchement procuré par celle-ci. Avec les tout-petits, le médiateur est un guide vers le lâcher-prise, mais aussi pour les adultes. C’est un accompagnant qui va créer un cocon bienveillant.


* ESCHAPASSE Annick, « L’art et l’enfant : pertinence et enjeux des actions d’éveil culturelle et artistique. », Les cahiers de l’éveil, n°1, [s.d.], p. 41.


Le médiateur est là pour créer un temps suspendu, instaurer des silences et des vides.

Visite multi-sensorielle à Vendée Vitrail.



Et les adultes ?


Jean Caune considère que « la notion de médiation […] met l’accent sur les processus de contacts, de liens […] ».


L’adulte doit être pleinement disponible pour recevoir l’autre : « Cette rencontre avec le vide nécessite une prise de distance avec nos manières d’être et notre propension à courir, agir, consommer qui nous éloigne de notre disposition à accueillir l’autre dans sa singularité, sa spécificité […] »*. À noter que les adultes, eux aussi, ont le droit de vivre une expérience sensible et sensorielle. Pour exemple, une maman accompagnatrice lors d’une visite scolaire autour des cinq sens à Vendée Vitrail a demandé en fin de visite à la médiatrice s’il était possible de faire la même chose pour les adultes, mais en autonomie : cette notion d'expérience et de sensible est valable pour tous.


* FOURDRIGNER Catherine, TOURRILHES Catherine, « Les médiations artistiques : des expériences sensibles », Le Sociographe, 2017/1 (N° 57), p. 7-10.



 

Les institutions culturelles et les tout-petits

Entre réticence et accessibilité, les lieux culturels doivent encore progresser.


Si pour les médiateurs, adultes et enfants, la nécessité et la pertinence des actions d’éveil culturel et artistique est ancrée, qu’en est-il des institutions ? Nous avons pu citer dans un article précédent l’exemple du centre d’art Mille Formes ou encore celui de la Cité des Sciences. Ces lieux sont spécifiquement dédiés aux enfants et l’initiative est excellente. Cependant, une question demeure concernant l’accueil des tout-petits : mieux vaut-il un lieu qui leur est dédié ? Ou les inclure dans les lieux culturels déjà existants ? Si on peut leur dédier des lieux spécifiques, pourquoi vouloir les emmener ailleurs ? Dans des lieux, qui plus est, apparaissent moins adaptés pour eux ?


Un tout-petit « ça touche », « ça fait du bruit », « ça ne peut pas comprendre une oeuvre d’art », « ça dérange les autres visiteurs ». Les réticences face à ce public sont nombreuses. Malgré les évolutions, elles restent ancrées dans l’esprit de certains professionnels de la culture ou de la petite enfance.

Si les moins de trois ans sont aujourd’hui de plus en plus considérés, il reste quelques questions à soulever : le rapport à l’oeuvre est-il indispensable ? Faut-il leur dédier un espace au sein du musée ? Parfois, cela émane des équipes de médiation qui ne se sentent pas concernées ou formées pour cela.


Sensibiliser les visiteurs commence par une sensibilisation au sein même de l’équipe culturelle, en interne, mais aussi chez les partenaires potentiels à l’extérieur. Lors du premier protocole d’accord de 1989 entre le ministère de la Culture et le Secrétaire d’État à la Famille, « on pensait plus à déplacer le musée dans les crèches ou dans les écoles maternelles qu’à emmener les bébés ou les élèves au musée»*.


Élaborer un projet de petite enfance se fait en plusieurs étapes, petit à petit. Brusquer les choses en imposant de prime abord une visite qui leur est dédiée sans prendre en compte et avoir concerté les professionnels de l’enfance ne fonctionnera pas. D’un point de vue logistique, il est, en effet, beaucoup plus simple pour le musée de se déplacer dans le centre d’accueil. Accueillir des tout-petits sur place nécessite d’avoir le matériel adapté comme une table à langer, un endroit pour mettre les poussettes ou encore un lieu d’allaitement. Mais surtout, pour les professionnels de la petite enfance, c’est le déplacement qui apparaît le plus compliqué. Si pour les crèches privées il est plus évident de se déplacer car elles ont généralement leur propre véhicule et moins d’enfants à charge, pour les centres publics et les ASMAT ce n’est pas toujours possible : manque de personnel, obligation de louer un véhicule, permission des parents pour transporter les enfants… Une organisation rigoureuse pour passer seulement une heure au musée.


Pourtant, les lieux culturels innovent, s’adaptent et travaillent à l’accessibilité des enfants de moins de trois ans.



* LE PAPE Yannick, « L’accueil des tout-petits au musée : enjeux et résistance », dans Actes du colloque Petite enfance : socialisation et transitions, Paris, vendredi 13 et samedi 14 novembre 2015.

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